Renvois et références reliés aux textes mémoires de Florian Jutras

dimanche 25 octobre 2009

R6 Exilia Jutras

MLLE EXILIA JUTRAS ( 1865-1881)



Elle est née à Saint-Zéphirin, le 13 mai 1865. Son adolescence se déroula entourée de ses parents, de deux frères Zéphirin et Hormisdas et de sa soeur Célina. Aujourd'hui, on peut visiter la maison familiale, construite par son père, en 1855, au Village Québécois d'Antan de Drummondville. Il s'agit de l'exibit no 13, maison B Jutras. Elle sert de boutique et de résidence à l’apothicaire.Ses études se terminèrent d'une façon plutôt inattendue. Un jour, qu'elle revenait de l'école, nu-pieds comme elle aimait nous le rappeler, son père la pria d'aller "s'endimancher" et de se présenter au salon. Très intriguée, elle était loin de se douter qu'elle allait vivre le moment qui déciderait du sort de sa jeune vie. En effet, M. Albéric Blanchette sollicita l'honneur de la fréquenter les "bons soirs"; le jeudi et le dimanche. Il l'avait remarquée, disait-il, lors d'une visite qu'elle fit à sa parenté de Sainte-Brigitte. C'est ainsi, à quinze ans et demi, qu'Exilia passa de l'adolescence au monde des adultes. Elle m'avoua n'être pas retournée à l'école même pour annoncer la nouvelle à ses compagnes.





MME ALBÉRIC BLANCHETTE (1881-1898)



Après son mariage, le 18 octobre 1881, elle vécut avec son mari à Sainte-Brigitte; elle avait seize ans et Albéric vingt-deux ans. Ils étaient bien jeunes tous deux mais comme elle le disait dans ce temps-là, on ne se posait pas trop de questions. De cette union sont nés onze enfants dont quatre sont décédés en très bas âge. Le 11 novembre 1898, Exilia perdit son mari victime d'un accident. En plus d'être cultivateur, il était garde-chasse et c'est en parcourant les bois, à Saint-Joachim, qu'il fut atteint par un coup de fusil placé comme piège à ours. Il réussit tout de même à se traîner jusqu’au chemin passant à l’orée du bois. C’était ce même chemin qu’empruntait le postillon pour sa randonnée journalière. Il découvrit Albéric déjà très affaibli et juste à temps pour recueillir sa dernière volonté: celle d’accomplir sa promesse de faire chanter une grand-messe, en l’honneur de saint Antoine de Padoue, s’il était retrouvé vivant. Malheureusement, il était déjà mort lorsque les secours arrivèrent. Ma grand-mère restait seule, à trente-trois ans, avec sept enfants âgés de deux à seize ans.


Un dicton nous dit que le malheur des uns fait le bonheur des autres. Ce fut peut-être vrai pour ma grand-mère. Lorsqu'elle assista aux funérailles d’Anna Lupien épouse de Louis Girard, en juin 1900, elle déclara catégoriquement à la sortie de l'église à la personne qui l'accompagnait; cet homme-là, "je vais le marier." Et de fait, le 16 sept 1901, elle se remariait à cet industriel copropriétaire depuis 1883, du moulin à scie "Girard et Lupien" de Sainte-Brigitte. Les aînés de ses fils travaillaient déjà à ce moulin. Voilà donc Exilia qui prend un nouveau départ mais cette fois avec Louis, ses sept enfants Blanchette et les trois enfants Lupien-Girard de son deuxième mari.MME LOUIS GIRARD (1901-1918) Sept enfants sont nés de cette union dont deux filles survivront. Berthe, ma mère, âgée de 91 ans et Juliette décédée, le 26 mars 1997, à l’âge de 91 ans et 11 mois.


Évidemment, je n'ai pas connu ma grand-mère à ce moment-là, mais Berthe me confirme qu'elle dut faire preuve de beaucoup d'énergie et de doigté pour exercer un ferme contrôle sur ses enfants, réussir à harmoniser une vie familiale et créer l'esprit de bonne entente qui régnait dans la maison. Il nous suffit de rappeler le mariage de son fils Albéric Blanchette avec Hortense Girard, fille de Louis Girard. Les enfants de l’un comme de l’autre les désignaient comme “pâpâ” et maman. Il en était de même pour les parents Lupien ou Blanchette, ils étaient considérés comme oncle, tante, cousin ou cousine. Quand ma mère, Berthe, parlait de l’associé et beau-frère de son père elle parlait de “mon oncle Philippe Lupien”. Quand elle nous parlait de Mme Arthur Pinard fille de Philippe elle parlait de “sa cousine Yvonne”.Exilia était bien secondée pour la bonne tenue de la maison, la couture et les travaux de jardinage. Un certain temps, il y avait jusqu'à seize engagés au moulin à scie; pas surprenant que ses gâteaux, biscuits et tartes soient réputés.Elle surveillait aussi l'éducation et l'instruction de ses filles et pour celles qui en eurent la possibilité, elles fréquentèrent le couvent de la Présentation de Drummondville. Anita, Christine et Berthe, obtinrent leur diplôme d'institutrice. Quant aux garçons, par leur travail au moulin à scie, ils aidèrent leur beau-père à faire prospérer le patrimoine familial. Vu sa nombreuse famille, ma grand-mère développa des talents de guérisseuse et plus d’une fois, j'ai eu recours à son fameux " remède à plume" (remède de sa fabrication), qu'elle appliquait avec une plume de coq et qui guérissait les encoches aux mains, aux pieds ou aux genoux et même les feux sauvages. A ce remède miracle s’ajoutaient les frictions au liniment rouge pour soulager les excès de fièvre, le soufre mêlé avec de la mélasse pour nettoyer les intestins, les cataplasmes de graines de lin ou de moutarde, les potions calmantes de painkiller.Elle aurait pu mener pendant de longues années encore une existence paisible, le sort en a décidé autrement. Sauf Henri, les aînés étaient mariés et son mari, alors âgé de soixante-sept ans, quittait son commerce de Sainte-Brigitte pour aller habiter à Saint-Félix-de-Kingsey. Louis Girard était propriétaire de la moitié indivise des lots de terre portant les numéros. 13-B, 14 et 15-A. au neuvième rang du canton de Kinsey. Déjà, depuis quelques années Adolphe, sa famille et Henri y résidaient. Ces propriétés étaient situées à six milles du village, au 9e rang. Est-ce que Louis voulait installer un moulin à scie là-bas? Peut-être. Ses fils exploitaient les terres à bois de Saint-Félix et le bois était transporté à Sainte-Brigitte.
Un samedi, Louis fut écrasé par la roue d'eau du moulin à scie que l'on chargeait sur une voiture; on le transporta chez sa fille Marthe épouse de Désiré Dionne de Sainte-Brigitte. Il décéda le lundi soir un peu après minuit, le 13 août 1918 . Pour la deuxième fois et en l'espace de moins de vingt ans, ma grand-mère perdait, comme elle disait, le père de ses enfants et pour une deuxième fois aussi elle était absente du lieu de l'accident étant déjà installée, temporairement avec toute sa famille, dans la maison d’Adolphe à Saint-Félix.


MME BENJAMIN BÉLIVEAU ( 1919 -1942)


En 1918, il n’était pas question d’automobile, d’électricité, rarement de téléphone et encore moins de service social. Les personnes devaient se débrouiller avec l’aide des parents, voisins et amis.


Exilia trouva tout de même du réconfort après ses malheurs lorsqu’Hormisdas, son frère, la ramena avec ses filles à Saint-Zéphirin où elle vécut jusqu’à son remariage.
Peu après son retour dans sa paroisse natale, elle fit la connaissance de celui qui deviendra son troisième compagnon, Benjamin Béliveau, qu’elle épousa le 13 décembre 1919. Benjamin, veuf avec six enfants adultes, demeurait à Baie-du-Febvre.


Qui prend mari prend pays, elle emménagea donc dans un rang de la Baie dit rang du "Pays Brûlé". Et en une deuxième occasion, le destin va réunir un de ses enfants à celui de son nouveau mari. Cette fois, c’est sa fille Floriane Blanchette qui épousera Omer Béliveau le 24 janvier 1921. Quand M. Béliveau décida de céder ses biens à son fils Ovila, ils vinrent s'installer sur une petite terre, à l'entrée du village de Sainte-Perpétue, vers les années 1921-1922.
Probablement pour des raisons de santé, "Pépère Béliveau", quelque temps avant sa mort, retourna vivre chez son fils Ovila. Pour Exilia, c'était son sixième déménagement. Elle en avait connu d'autres. Le décès de son troisième mari survint le 14 mai 1942. Après les funérailles, ma grand-mère choisit de venir demeurer en permanence chez sa fille Berthe et Arthur à Sainte-Perpétue, elle en était à son septième et dernier déménagement.



MME Vve BENJAMIN BÉLIVEAU ( 1942-1948)


Lorsqu'elle élut domicile chez nous, ma grand-mère, âgée de soixante-dix-sept ans, était toujours alerte, elle n'avait rien perdu de son caractère autoritaire et elle jouissait d'une bonne santé, d'une ouïe fine et d'une mémoire encore fidèle.


Elle aimait vivre entourée et dans notre milieu familial, elle était bien servie par le va-et-vient continuel occasionné par le commerce de mon père. Je l'ai souvent entendue argumenter et tenir tête à son gendre Arthur lorsqu’il y avait divergences d'opinions. Elle ne se gênait pas non plus pour corriger le comportement et la tenue à table des “hommes engagés” de mon père et ne tolérait aucune expression ou mot vulgaire en sa présence. Le mot "retraite" ne faisant pas partie de son vocabulaire, elle participait aux travaux ménagers, allégeant ainsi la lourde tâche de ma mère. Elle apportait aussi aux parents, un support quotidien à parfaire notre éducation; très stricte, elle surveillait constamment nos bonnes manières que ce soit à l'église, à la table, ou pendant la récitation du chapelet en famille.


Toutefois, des désaccords surgissaient sur la discipline à appliquer aux enfants. Il est arrivé, à ma connaissance, qu’elles se boudaient à ce sujet. Berthe disait à Exilia, en la respectant quand même; “Je dois composer avec Arthur, c’est suffisant. Laissez-moi m’occuper de mes enfants. Vous, vous avez fait ce que vous avez voulu avec les vôtres, c’est maintenant à mon tour.” Mémère partait passer quelques jours chez une autre de ses filles. À son retour, tout était revenu à la normale.


J'ai souvent remarqué sa grande délicatesse à parler des siens d'une façon positive mettant toujours en valeur leurs qualités, les excusant même. C'est aussi, avec grand respect, qu'elle nous parlait de ses maris, les désignant par le titre de Monsieur. Cette façon de s'exprimer traduisait l'estime qu'elle leur portait et la fierté d'avoir été mariée, selon son expression, à des "Messieurs d'hommes". Ma curiosité m'incita un jour à vouloir connaître lequel de ses trois maris elle avait aimé le plus. Je les ai tous aimés, me dit-elle, mais de façon différente; chacun possédait de belles qualités. Puis elle ajouta, avec un petit sourire moqueur, tu sais, Monsieur Blanchette était plus jeune.


Des amis et des proches venus la visiter la taquinaient souvent sur l'opportunité d'une quatrième union, ses reparties n'affirmaient ni ne démentaient une telle possibilité. J'étais tout de même intrigué par ses visites fréquentes à son "vieux" médecin de famille qui l'obligeait à se rendre régulièrement à Drummondville. Son médecin lui ayant dit un jour: "Mme Béliveau, vous devriez vous remarier, vous êtes en pleine forme". Elle lui assura être prête. A-t-il déchiffré le message? Je crois qu'elle aurait pris une décision rapide s'il l'avait demandée en mariage. Elle avait en lui pleine confiance et lui vouait une grande admiration.


Comme nous vivions à la campagne, l’hiver, nous avions recours au médecin de Saint-Léonard pour répondre aux urgences. Un matin de février 1943, mon frère Bertrand était pensionnaire au Séminaire de Nicolet, mon père et ses engagés, partis livrer de la viande à Drummondville, n’étaient pas revenus la veille. J’ai dû, à 4 h 30 faire le train (seul) et après, vers 7 h 30, atteler le cheval et me rendre à Saint-Léonard (5 milles) chercher le Dr Dugré pour ma grand-mère qui était souffrante. Après la visite du médecin, je le reconduisis à son domicile. A mon retour, je devais traverser la voie ferrée. Le cheval prit peur en entendant le sifflet du train et je me retrouvai dans la neige avec la voiture renversée. Les employés de la locomotive m’aidèrent à relever la “Catherine” et je pus revenir sain et sauf à la maison. Naturellement, j’ai expliqué la raison de mon retard à l’école et l’enseignante, Madeleine Mathieu, fut très compréhensive et me félicita d’avoir parcouru 20 milles dans des chemins impraticables pour venir en aide à ma grand-mère.


Aujourd'hui, je me considère privilégié d'avoir vécu pendant six ans dans l'intimité de cette bonne grand-maman. Je revois les lueurs de tristesse et de joie passant dans ses yeux au récit d'anecdotes d'un passé qui lui semblait encore si proche. Mais le souvenir du voyage qu'elle fit avec mes parents en Abitibi était plus récent, elle nous le raconta en de nombreuses occasions. En 1942, mon père possédait une voiture de marque Ford 1940, très confortable. C'était tout de même une grande aventure de partir pour deux semaines dans une randonnée de mille milles, aller-retour, pour rendre visite à tante Alphaïde et sa famille établies à Val-d’Or.
Au retour, la fatigue causée par ce long trajet n'a en rien diminué son enthousiasme et c'est avec beaucoup d'émotion qu'elle nous relata tous les événements survenus au cours de ce voyage. Ce fut sûrement pour elle une des grandes joies qui illumina les toutes dernières années de sa vie.


J'aurais bien aimé hériter de sa chevelure abondante; la nature en a décidé autrement. Cependant, les principes de vie qu'elle m'a légués ont compensé largement pour mon manque de toupet et m'ont permis d'avoir “plus de front” pour me lancer dans des entreprises jugées parfois téméraires. Par contre, je peux dire avec fierté que j'ai hérité de ma grand-mère de son amour de la famille et du public, de son goût des voyages, de son courage et son dévouement ainsi que de son habileté à défendre ses opinions et à faire accepter son point de vue.
Lorsque je fus élu président du Comité des jeux de mon collège, elle était très fière des succès de son petit-fils, (il en fut ainsi pour mes frères et soeurs). L'année suivante, en 1948, j'entreprenais, à dix-sept ans, une campagne électorale comme jeune orateur. Bien que la politique l'intéressait au plus haut point, son état de santé ne lui permettait plus de fréquents déplacements. Au début de ma carrière politique, je n'eus donc pas la joie d'être applaudi par ma bonne vieille grand-mère que j'affectionnais beaucoup.


Durant les derniers mois de sa vie, elle fut prise d'un grave malaise alors qu'elle était en visite chez tante Christine, (À noter que Christine Girard était la fille née du premier mariage de son deuxième mari.) Donc, avec l'approbation de son époux Gilles Ally et de leurs enfants, ils décidèrent de la garder à leur résidence; prétextant que ma mère Berthe était enceinte pour une 16e fois. Ainsi, c’est là, bien entourée des siens, qu’elle quitta pour un monde meilleur ceux qu’elle chérissait. Elle a certainement reçu la récompense promise par Dieu, aux hommes et aux femmes de bonne volonté. “ Quand vous donnez à manger à ceux qui ont faim...vêtez ceux qui sont nus...donnez à boire...Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites!” C’est ce qu’elle a fait tout au long de sa vie!


Elle fut exposée à la résidence d’Arthur et Berthe, maintenant ma propriété. C’était la coutume de veiller les morts jour et nuit, de réciter le chapelet à toutes les heures. Pendant deux jours, des dizaines de personnes sont venues se recueillir devant la dépouille mortelle, dans ce qui fut mon bureau alors que j’étais député à Ottawa et Ministre à Québec. Jeune, je disais souvent à ma grand-mère: “il y a assez d’événements dans votre vie pour écrire un roman.” Elle me répondait: “tu l’écriras toi”. Je crois, présentement, exécuter une partie de votre commande grand-maman!

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