Au Québec
À cette époque, en 1935, on pratiquait encore dans cette région des cantons de l’est une agriculture de subsistance.
Chaque habitant produisait sa laine, son blé, et toute la nourriture nécessaire pour hiverner convenablement sa famille et les animaux de la ferme.
À l’automne on tuait le bœuf (souvent une vieille vache) et un cochon dont les morceaux de viande étaient conservés dans le sel ou logés dans une vieille « canisse » à lait qui était enfouie dans un carré de grains pour les protéger des dégels et des prédateurs.
Les poules pondraient tout l’hiver jusqu’à ce qu’elles terminent leur carrière dans le pot-au-feu. À l’automne on mettait en conserves ou dans le vinaigre l’abondante production du potager.
À cette époque le tambour entre la première et la deuxième grange était aménagé en bergerie et je me souviens , médusé d’avoir assisté au printemps à la tonte des quelques moutons qu’elle abritait.
Tous les travaux de la ferme étaient faits à l’huile de bras ou aidés de la traction animale. J’ai vu de mes yeux opérer un « hospor » (pour horse power ) actionné par un cheval qui marchait sans route et sans fin sur un plan incliné.
Un bon nombre d’instruments aratoires était de fabrication artisanale, voire même domestique.
J’ai actionné le soufflet de la forge familiale située dans le hangar de l’oncle Alcide. On y forgeait ou réparait à peu près tout ce dont on avait besoin sur la ferme. Une partie de cette forge logeait aussi un atelier de menuiserie qui assurait avec le bois le même service que la forge avec le fer.
Cependant en parallèle, l’agriculture-industrie était déjà présente et connaissait un rapide développement.
J’ai vu sur la ferme un des premiers tracteurs à vapeur, monstre de fer que mon grand-père avait acheté à gros prix. Il ne fera pas long feu, Sa masse et ses grandes roues de fer étaient peu adaptées au sol argileux de la région. Quelques années plus tard il sera remplacé par un tracteur à essence, de fabrication domestique roulant sur pneumatique. Une patente signée Lucien et Jean-Baptiste.
J’ai toujours été fasciné par le tourniquet en moulin à vent de la lieuse qui courbait les tiges d’avoine pour mieux les couper. Et que dire de cette girafe du chargeur qui précéda la presse à foin et du vieux râteau rouillé à dents de fer dont le maniement difficile a stressé longtemps mes capacités de jeune habitant à tout faire? Ces instruments et le moulin à faucher étaient de fabrication industrielle. Il fallait payer en argent liquide pour se les procurer.
J’ai toujours été fasciné par le tourniquet en moulin à vent de la lieuse qui courbait les tiges d’avoine pour mieux les couper. Et que dire de cette girafe du chargeur qui précéda la presse à foin et du vieux râteau rouillé à dents de fer dont le maniement difficile a stressé longtemps mes capacités de jeune habitant à tout faire? Ces instruments et le moulin à faucher étaient de fabrication industrielle. Il fallait payer en argent liquide pour se les procurer.
Heureusement, l’industrie laitière, présente et en progrès depuis l850 environ était, c’est le cas de le dire, la vache à lait qui donnait chaque semaine de la haute saison ses dividendes en argent liquide. Chaque dimanche après la grand-messe j’allais au bout du rang St-Pierre chercher la petite enveloppe-crème qui contenait la paye du lait mené pendant la semaine à la fromagerie du rang St-Alexandre.
Cette coexistence chez nous de l’agriculture de subsistance accrochée à ses habitudes et ses traditions avec l’industrialisation agricole en progrès ne s’agençait pas sans grincement.
Malgré une attitude de base fondamentalement ouverte au progrès et aux changements il y avait dans le monde de mon enfance un va-de-soi qui marquait comme au coin de l’absolu beaucoup de pratiques et d’activités que les saisons ramenaient sans questionnement.
Il fallait semer des patates même si elles pourrissaient dans la terre glaise et nourrir des chevaux même après que les motorisés les eurent rendus inutiles. On filait la laine et on pétrissait son pain avec beaucoup d’énergie même si les produits manufacturés étaient de plus en plus accessibles et à bas prix.
Pour arrêter les sauterelles ou assurer de bonnes récoltes on consacrait du temps en prières et en processions même si l’on commençait à vanter les vertus des pesticides et de l’engrais chimique.
J’ai entendu ma tante en parlant des habitants du rang qui se rendaient à la grand’messe en auto, dire qu’ils étaient des « faiseux de poussière pas payée ».
Mon père a nourri les commérages à scandale pendant quelques dimanches lorsqu’un printemps il décida de ne plus planter de patates. Il en fut de même quand il vendit son dernier cheval efficacement remplacé par un tracteur « qu’on n’avait plus besoin de soigner ». Allez compter les habitants du rang St-Alexandre qui aujourd’hui élèvent encore des chevaux sur leur ferme! Le cheval, un luxe de ville pour touristes!
Cependant, chevauchant en parallèle sur cette voie des traditions qui nous ramenaient dans le passé, il y avait l’éclatement des nouveautés qui fascinaient et qui racolaient les plus audacieux. Je vis encore de l’émerveillement collectif devant la magie de l’électricité installée chez nous quand j’avais à peu près dix ans. Un avion dans le ciel commandait un arrêt du temps, un petit radio à cristal rassemblait les voisins à l’écoute de l’émission « Le curé du village ». La poussière d’une automobile qui passait sur la route nourrissait les commérages pendant de longs jours.
Les questionnements que suscitaient ces deux mondes en cohabitation et en compétition ont nourri, c’est sûr, mon imaginaire, mais ont aussi imprimé à ma vie une allure et comme une aimantation qui m’a toujours servi de boussole.
Mon premier petit banc de traite des vaches, venu du fond des âges, allait être remplacé bientôt par le siège d’un tricycle, le volant d’une auto ou les ailes d’un avion. Dans la même veine, l’ardoise, les craies et les crayons de bois céderont place au clavier sur lequel j’écris présentement.
Mon petit banc à trois pattes sera placé tout en haut du temple de la renommée de mes souvenirs. Il y demeurera tout mignon et chargé de sens car il a marqué mes premiers pas dans la vie consciente. L’évolution peut avoir ses temps forts et ses temps d’arrêt. Cependant, en tout temps la destinée humaine se réalise par le changement. C’est ce que mon petit banc à trois pattes m’a confié à l’aube de mon enfance.
Florian
Un clic vous amènera en tour guidé dans le -rang St-Alexandre version 1935.
Malgré une attitude de base fondamentalement ouverte au progrès et aux changements il y avait dans le monde de mon enfance un va-de-soi qui marquait comme au coin de l’absolu beaucoup de pratiques et d’activités que les saisons ramenaient sans questionnement.
Il fallait semer des patates même si elles pourrissaient dans la terre glaise et nourrir des chevaux même après que les motorisés les eurent rendus inutiles. On filait la laine et on pétrissait son pain avec beaucoup d’énergie même si les produits manufacturés étaient de plus en plus accessibles et à bas prix.
Pour arrêter les sauterelles ou assurer de bonnes récoltes on consacrait du temps en prières et en processions même si l’on commençait à vanter les vertus des pesticides et de l’engrais chimique.
J’ai entendu ma tante en parlant des habitants du rang qui se rendaient à la grand’messe en auto, dire qu’ils étaient des « faiseux de poussière pas payée ».
Mon père a nourri les commérages à scandale pendant quelques dimanches lorsqu’un printemps il décida de ne plus planter de patates. Il en fut de même quand il vendit son dernier cheval efficacement remplacé par un tracteur « qu’on n’avait plus besoin de soigner ». Allez compter les habitants du rang St-Alexandre qui aujourd’hui élèvent encore des chevaux sur leur ferme! Le cheval, un luxe de ville pour touristes!
Cependant, chevauchant en parallèle sur cette voie des traditions qui nous ramenaient dans le passé, il y avait l’éclatement des nouveautés qui fascinaient et qui racolaient les plus audacieux. Je vis encore de l’émerveillement collectif devant la magie de l’électricité installée chez nous quand j’avais à peu près dix ans. Un avion dans le ciel commandait un arrêt du temps, un petit radio à cristal rassemblait les voisins à l’écoute de l’émission « Le curé du village ». La poussière d’une automobile qui passait sur la route nourrissait les commérages pendant de longs jours.
Les questionnements que suscitaient ces deux mondes en cohabitation et en compétition ont nourri, c’est sûr, mon imaginaire, mais ont aussi imprimé à ma vie une allure et comme une aimantation qui m’a toujours servi de boussole.
Mon premier petit banc de traite des vaches, venu du fond des âges, allait être remplacé bientôt par le siège d’un tricycle, le volant d’une auto ou les ailes d’un avion. Dans la même veine, l’ardoise, les craies et les crayons de bois céderont place au clavier sur lequel j’écris présentement.
Mon petit banc à trois pattes sera placé tout en haut du temple de la renommée de mes souvenirs. Il y demeurera tout mignon et chargé de sens car il a marqué mes premiers pas dans la vie consciente. L’évolution peut avoir ses temps forts et ses temps d’arrêt. Cependant, en tout temps la destinée humaine se réalise par le changement. C’est ce que mon petit banc à trois pattes m’a confié à l’aube de mon enfance.
Florian
Un clic vous amènera en tour guidé dans le -rang St-Alexandre version 1935.
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