Renvois et références reliés aux textes mémoires de Florian Jutras

vendredi 13 mars 2009

R05 Lucien le patenteux


L'on disait couramment que Lucien n'était pas fait pour être cultivateur. Il aurait dû être mécanicien ou à notre époque il aurait pu devenir un ingénieur qualifié. Moi je lui accorde plus spontanément le titre de "patenteux" avec tout ce que l'expression peut comporter de noblesse pour le génie humain et de comique pour les cocasseries que l'on associe souvent à cette profession dans la société.

La liste des patentes qui sont sorties des mains et du génie pratique de Lucien serait longue à dresser. Évoquons-en quelques-unes.

Jeux d'enfants

Je me souviens du traîneau en frêne blanc à la lisse très coulante qui nous permettait de dépasser les autres lorsque nous allions glisser dans la coulée de Jos Courchesne ou sur la côte de glace que papa nous faisait chaque hiver à partir du perron du fournil.

Je revois les mortaises qui reliaient les lisses, la courbe arrondie du patin, la surélévation du siège qui permettait de passer dans la neige plus épaisse et la longue corde que nous nous passions au tour du cou pour ramener le traîneau après la descente. Il n'était pas muni de la lame métallique des traîneaux rouges sortis du magasin mais quelques années plus tard, il fut remplacé par les skis.

Des skis "home made" comme de raison. Je revois les six planches de freine blanc dont il avait trempé le bout pendant une demi-heure dans l'eau bouillante de la bouilloire à linge pour pouvoir les plier. Elles sont encore là dans ma mémoire la pointe fixée sous le "side board", retenues par des bûches et des cordes. Pendant toute la nuit, dans la cuisine elles montèrent la garde des montagnes virtuelles que le poêle projetait sur les murs comme pour nous les réserver. Le lendemain trois belles paires de ski au bout arrondi nous attendaient.

Avec ces skis, nous avons glissé partout où il y avait pente, même sur le tambour qui unissait l'étable à la grange. Émule du patenteux attitré, je m'étais avisé de visser mes bottes de travail sur ces skis de fortune. Le prototype des fixations actuelles quoi! Papa en avait ri mais j'ai cru qu'il regrettait de ne pas y avoir pensé avant moi!

Il nous a aussi montré toutes sortes de trucs amusants qui allaient du sifilet à trois trous tiré d'une branche de saule aux tracteurs fabriqués avec une "canelle" de fil, un bout de chandelle et un élastique. Et cela fonctionnait. Je pense aussi au jeu des boules d'acier roulant sur deux tiges de fer qui mesuraient notre « self control ».

Le radio à cristal
Je ne sais si quelqu'un a conservé l'un de ces nombreux radios à cristal qu'il a fabriqué pour les voisins et la parenté. Il faisait venir le cristal par la poste je ne sais d'où, puis, avec un savant enroulement de fil de cuivre et une manette de fabrication domestique, il arrivait à syntoniser les principaux postes de l'époque : CKAC – CBF et peut-être d'autres.

Je me souviens que les voisins du rang, chaque lundi soir, je crois, arrivaient, leur écouteur de téléphone en mains pour le brancher sur l'unique radio à cristal du rang et écouter ensemble, assis autour de la table, le Curé du village. C'était avant Séraphin et dans le rang St-Alexandre, avant internet.

L'électricité

Le cauchemar de maman! Bien avant la l'invention d'Edison avait, grâce aux patentes à Lucien, éclairé notre domicile. L'équipement comprenait : Une hélice en bois qui pouvait mesurer un bon quatre pieds et qu'il avait taillée lui-même dans une planche de pin sans noeud. Cette hélice mue par la force du vent actionnait un générateur d'auto qui chargeait un accumulateur (dans le temps, on disait ‹batterie»). Des deux pôles de la ‹batterie› partaient deux fils qui, parallèles comme les rails d'une voie ferrée, parcouraient toute la maison. Dans chaque pièce une lampe d'auto de 12 volts, accrochée au plafond éclairait la pièce d'une couleur jaunâtre lorsque l'on joignait les deux fils à l'aide d'un don recourbé qui, fixé près du cadrage de la porte, servait de commutateur.

Le système a fonctionné un certain temps avant les installations; de la Shawinigan Power. J'ai vu l'éclairage dans la chambre du haut de l'escalier qui était alors la chambre des ptits gars je me suis amusé avec ce commutateur, j'ai vu l'hélice tourner au-dessus du hangar et papa bretter avec le générateur.

L'éclairage fourni par la Shawinigan était certes plus brillant plus stable mais il coûtait la forte somme de une piastre par mois!
La vocation d'électricien de Lucien ne s'est pas arrêtée avec la venue des spécialistes de la Shawinigan.

Alors ce furent les moteurs qui retinrent son attention. Moteur pour banc de scie, moteur de sableuse à plancher, moteur pour pomper l'eau aux vaches, pour tourner la meule qui aiguisait les outils, et pour vriller les torsades des câbles de grand'fourche qu'il fabriquait aussi.

Je crois même qu'un moteur remplaça nos bras d'enfants aux brassées de lavage du lundi matin, avant l'arrivée d'une vraie machine à laver qu'il perfectionna aussi maintes fois.

Tous ces moteurs, venus des rebuts, étaient refilés et harnachés pour produire à la vitesse requise, l'opération désirée. Et que dire du réveille-matin à poule qui, devançant le lever du soleil devait augmenter la production. Alors les oeufs, grâce, aussi à ses inventions, étaient mirés, classés et couvés. Même les mouches étaient contrôlées par un tue-mouches électrique.
L'économie, peut-être pas la sécurité, commandait les éclairs de son génie électrique. Le prix payé? De matériaux de rebuts, quelques chocs électrique et des sursauts presque quotidiens de maman.
J'aurais bien voulu remplacer l'épingle à linge qui servait de commutateur à la lumière de la cave chez mon oncle Alcide quand ils y furent déménagés, mais c'était, trop inédit, trop marqué pour que j'ose profaner cette marque de commerce fût-ce même au nom de la sécurité.

Les tracteurs

Combien de tracteurs a-t-il montés avant la Fergusson? Il s'agissait de patentes pas ordinaires et d'une toute autre dimension que l'épingle à linge-commutateur. Pensez, un moteur Durand, raccordé, à une transmission d'une autre marque, un châssis d'auto coupé, de vieux pneus usés recouverts des roues de fer empruntées à l'ancienne batteuse et pour rendre le tout bien confortable un bon siège de Renault.

Quelle patience et quel génie il fallait pour adapter toutes ces pièces diverses, et en faire un tracteur aux performances olympiques, l'atteler à la faux du moulin à faucher, aux charrues à trois ou quatre raies, à la grand'fourche, aux herses, aux remorques, aux batteuses à grain ou à trèfle, à la scie ronde à billots !

C'était une époque. L'arrivée de la Fergusson. maquignonnée je ne sais trop comment, en a marqué une autre.
En avant de son temps, papa a remplacé les chevaux par le tracteur et, s'il avait eu plus de temps et d'argent. , chacune des opérations de la ferme aurait été par ses soins mécanisée.

Les patentes à Lucien ne venaient pas toujours avec le dernier raffinement. C'était souvent un peu l'épreuve du temps n'avait pas non plus tout éprouvé. Souvent ça brisait et le temps des ajustements et des réparations était plus long que le temps ou les efforts économisés par ses mécanisations.

Il avait cependant le don de trouver comme naturellement et du premier coup de quelle façon à fallait s'y prendre pour obtenir le résultat escompté. Il travaillait avec méthode et application et fabriquait ses propres outils. Je me souviens du poinçon qu'il avait fait pour perforer une grande taule qui devait remplacer l'une des grilles de la batteuse à trèfle. Il était fier de ses réalisations, il nous les montrait avec simplicité, comme s'il n'y avait là rien d'extraordinaire.

Lucien était né patenteux ou un patenteux inné. Je ne serais pas surpris que certains anges au ciel actionnent leurs ailes avec un moteur patenté « Lucien ».

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