MARIE-ROSE HOULE (née le 5 mai 1913)
ROBERT PRINCE
Je suis la première rose de l'année".
"Je suis une petite poulette du printemps".
C'est ainsi que Marie-Rose s'est toujours décrite, quand on lui demandait qui elle était. Fille d'Adélard Houle et d'Odélie Côté, elle est née et a grandi avec ses nombreux frères et soeurs dans le septième rang de Simpson à Saint-Cyrille.
De ses jeunes années, elle ne garde que peu de souvenirs. Elle se rappelle que "les hommes travaillaient fort pour faire vivre la famille;' désignant ainsi son père et ses frères aînés. Malgré cela, la famille vivait des moments difficiles: Marie-Rose se rappelle être déjà allée à l'école nu-pieds. Heureusement, l'école était située tout près, il est même possible que sa grand'soeur, Yvonne, lui ait enseigné, répond-elle lorsqu'on lui demande. En effet, Yvonne avait huit ans de plus qu'elle et, comme elle a enseigné à l'école numéro II de Saint-Cyrille avant d'épouser Lucien Jutras, il est logique de penser ça: Yvonne à 17 ans, enseignant à sa jeune soeur de 9 ans, et sans doute aux autres enfants de la famille.
Un incident est survenu alors qu'elle était pré-adolescente: elle avait été attaquée par le grand chien blond de son oncle Dosithée, mais en était sortie avec quelques égratignures seulement. Si elle n'en n'a pas gardé de souvenir, ses jeunes frères Hubert et Fridolin s'en souviennent encore comme si c'était hier.
Après avoir acquis les éléments de base de la lecture, de l'écriture et du calcul, Marie-Rose est demeurée à la maison pour aider sa mère. Elle est bien fière d'avoir appris à cuisiner et à coudre elle-même son linge alors qu'elle n'avait pas encore quatorze ans, compétences qu'elle a utilisées toute sa vie à son profit et à celui des autres.
Vers 1930, alors qu'elle avait 16 ou 17 ans, elle a fait une rencontre qui allait changer sa vie. Un jour de la Saint-Jean-Baptiste, elle s'était rendue au village de Saint-Cyrille, distant de quatre milles, pour une "séance" à la salle paroissiale: on y présentait en après-midi un spectacle de nature patriotique. Comme c'était la coutume, les filles étaient assises d'un côté, alors que les garçons occupaient l'autre. Avant le spectacle, des garçons, un peu plus dégourdis que les autres, ont lancé des petits pétards à mèche sur le plancher, en dessous des rangées de filles. Même Si les pétards étaient minuscules, on imagine la surprise, les cris et ensuite les fous rires que produisait leur éclatement.
Du côté des garçons, il y en avait un qui était déçu: il n'avait peu eu l'idée d'apporter des pétards pour étriver les filles. En fouillant dans la poche de son veston, il trouve cependant un rouleau de petits bonbons ronds, appelés Life Savers. Il en prend un et dans un grand geste fait pour être remarqué, il le lance sous les chaises des filles, qui poussent de grands cris de surprise par anticipation. Mais, on le devine, le bonbon n'explose pas et, quand les filles constatent le subterfuge, c'est un nouvel accès de fou rire de part et d'autre jusqu'au début de la séance.
Ce petit ratoureux s'appelait Robert Prince... c'est la première fois que Marie-Rose le voyait; c'est la première fois que Robert l'apercevait: c'est ainsi qu'ils ont fait connaissance. En effet, Robert demeurait dans le cinquième rang, ce qui faisait bien cinq milles de distance entre la maison des Houle et celle de Prince, soit une heure et demi de marche ou encore, avec un bon cheval trotteur, un trajet d'une bonne demi-heure par beau temps.
Robert descendait d'une famille acadienne, qui, en 1755, avait fui la déportation avant qu'elle ne se produise et s'était réfugiée à Québec. Le gouverneur de l'époque lui avait donné des terres à SaintGrégoire de Nicolet, d'où provenait le grand-père de Robert, Cyrille Prince, époux de Georgina Jutras, des pionniers de Saint-Cyrille. Robert était le cadet d'une famille de quatre enfants, trois garçons et une fille: Annette, l'aînée, Philippe et Arthur, enfants de Joseph Prince et de Marie-Louise Massé dit Bouvillier, tous vivants en 1930.
C'est ainsi que Robert s'est mis à fréquenter Marie-Rose "pour le bon motif", comme on disait dans le temps, c'est-à-dire en vue du mariage. Dans sa voiture fine, tirée par sa petite jument, la Nelle, Robert partait les beaux dimanches et parfois les jours de fête pour aller la visiter. Parfois, il revenait à la nuit tombée. Un soir qu'il s'était assoupi, ce sont les soubresauts de la voiture qui l'ont réveillé: la Nelle était entrée dans la bonne cour de ferme et s'en allait directement à son étable... harnais, voiture et Robert compris.
En 1932, on se trouvait en pleine crise économique: même Si elle affectait moins les agriculteurs que les citadins, elle n'en faisait pas moins des ravages en milieu rural. Par exemple, Robert, qui était très adroit menuisier, n'avait presque plus de travail sur les chantiers ou dans les scieries, comme il le faisait à la Celanese et à la Dennison à Drummondville et oeuvrait à l'occasion au moulin à scie Champagne à Saint-Cyrille, tout en restant chez ses parents et aidant aux travaux de la ferme.
Chez les Houle, la situation est devenue intenable: l'achat d'une terre voisine a amené tant de dettes qu'Adélard Houle a dû déclarer faillite en mai 1932 et partir pour Saint-Hyacinthe dans l'espoir d'y trouver du travail. Marie-Rose, qui avait alors 19 ans, a suivi ses parents, où elle a, entre autres, travaillé dans des maisons privées et dans une usine de couture. Très sociable, elle s'est fait rapidement un réseau d'amies, en particulier Madeleine Bienvenue, avec qui elle a gardé contact pendant très longtemps encore.
Quant à Robert, environ une fois par mois, il prenait le train à la gare de Saint-Cyrille et se rendait visiter Marie-Rose à Saint-Hyacinthe, excepté en hiver, disait-il. C'est ainsi, que, après avoir fait sa grand'demande, il l'épousait le 29 septembre 1936, alors qu'il venait tout juste d'avoir 26 ans et son épouse, 23 et demi.
Après un court voyage de noces à Sutton visiter des parents de Robert (la famille de Willibald Larose et de Florida Massé), le nouveau couple s'installe en face de l'église de Saint-Cyrille, dans une maison déjà occupée par Germaine Houle, soeur de Marie-Rose, et Roland Coderre. C'est à cet endroit qu'est né, un beau dimanche midi très chaud, le 18 juillet 1937, le premier enfant du couple, qui fut baptisé par le cousin de Robert, le vicaire Irénée Lavigne, sous les noms de Joseph-Irénée-Gérald, ayant pour parrain et marraine ses grands-parents Prince.
Comme la crise économique sévissait toujours, Robert et Marie-Rose ont décidé d'aller s'installer dans une maison abandonnée depuis près de 20 ans, qui faisait face à la ferme des parents de Robert, sur le lot 223 du 5ième rang, à un kilomètre du village. Cette ferme avait été achetée en 1919 par M. Joseph Prince dans le but d'y établir un jour ses garçons et c'était le cadet qui a, le premier, choisi de s'y installer. Mais ce n'était pas une sinécure: Si les bâtiments étaient en assez bon état, on ne pouvait en dire autant de la maison, construite vers 1865 pièce sur pièce, inhabitée depuis la mort de son ancien propriétaire, Sigfroi Comtois.
C'est ainsi qu'il s'est mis à la tâche de réparer l'immeuble avec l'aide des parents et des voisins, ce qui lui a permis d'y déménager en 1938, juste à temps pour la naissance de Jocelyne, le 8 août. Les démarches, entreprises pour obtenir un prêt du crédit agricole ont porté fruit l'année suivante: le 29 juin 1939, Robert et Marie-Rose achetaient la petite ferme de 52 arpents, avec les bâtisses y dessus construites, pour la somme de 4000 $. Le prêt était remboursable sur 40 ans à raison de 100 $ par année: 50$ au premier jour de l'An et 50 $ le premier juillet...
Pendant les premières années, les remboursements ont été très difficiles à faire, a mentionné plus d'une fois Robert, en rappelant cette époque terrible. Il a fallu une guerre, celle de 1939-45, pour redonner vie à l’économie... Pendant que Robert améliorait la ferme avec l'achat de bétail, les rénovations à la maison (toiture en tôle et lambris d'amiante), le travail occasionnel au village, Marie-Rose s'occupait de la petite famille qui continuait à croître: Gilles en 1940, Réjean en 1942; Jean-Guy en 1944 et Francine en 1949.
Un soir de mai 1942, Robert a pris une décision de première importance: au lieu de porter chaque jour à la fromagerie le lait de son petit troupeau de 10 vaches, il tenterait de le vendre à la pinte. C'est ainsi qu'après avoir mis une dizaine de pintes et de chopines dans le coffre arrière de la voiture fine, il partait avec Gérald et la Nelle vers la grande aventure. C'est chez Zéphirin Lupien qu'il a trouvé ses premiers clients et, quand il est revenu à la maison, il avait tout vendu et s'était fait une clientèle. Quelques mois plus tard, il achetait la "ronne~'de lait d'Hilaire Despins, qui prenait sa retraite. "Avant la ronne, je gagnais 30 $ par mois: avec elle, 30 $ par semaine, répétait-il fièrement pour illustrer le succès de son initiative.
C'est ainsi que, matin et soir au début, il distribuait le lait dans une soixantaine de résidences du village, souvent accompagné par l'un ou l'autre de ses fils, en particulier le samedi, alors que c'était la collecte de l'argent de la vente du lait de la semaine. Chaque jour, même scénario: lever à 6 heures, traite des vaches, pendant que Marie-Rose embouteillait le lait de la traite de la veille, petit déjeuner et départ pour le village par tempête comme par beau temps, par vents et rafales, sous l'orage ou la poudrerie.
Le 8 février 1948, la "cabane à lait" a été entièrement démolie lorsqu'elle a été frappée par un camionneur ivre. Heureusement, ni Robert, ni Gérald, qui se trouvaient à l'intérieur, n'ont été blessés, mais le cheval, le vieux Pit, a "pris "l'épouvante" et a été retrouvé complètement épuisé... par un fermier du 9ième rang de Simpson à Notre-Dame du Bon-Conseil, un bon cinq kilomètres plus loin. Cet accident a sonné le glas de la « ronne »du soir, d'autant plus que certaines clientes avaient maintenant leur « frigidaire ».
Quant à Marie-Rose, en plus d'aider à la préparation du lait et aux soins de la famille grandissante, elle cuisinait, faisait des conserves et des marinades, entretenait un potager, cousait les vêtements de la famille et voyait à la bonne marche de la maisonnée. En plus de l'éducation des enfants, la préparation pour l'école, et quoi encore. De son côté, Robert faisait lever la maison sur un solage (1950) après avoir refait la cuisine d'été, tout en améliorant des bâtiments, où l'on trouvait, en plus des vaches et des chevaux, des poules et des porcs.
C'est en 1949 que Robert a acheté son premier tracteur, un véhicule patenté sur un châssis de camion. En l'essayant avec une faucheuse, il avait malencontreusement blessé Jean-Guy aux jambes. Deux ans plus tard, il se procurait un petit Ferguson tout neuf qu'il allait garder durant toute sa carrière agricole. A suivi, peu de temps après, sa première auto, une Plymouth 1939.
Les années ont passé, les jeunes sont devenus ados, ont fait des études et sont partis chacun de leur côté, faisant leur vie à leur façon. Jocelyne épousait en 1960 Gaston Gendron et Gérald, en 1962, Jacqueline Allard. Coup sur coup, deux décès: Réjean en 1966 et Gilles en 1968. En 1971, deux autres mariages: Jean-Guy et Francine Massé, ainsi que Francine et Denis Limoges.
Désormais, Marie-Rose et Robert sont seuls et reçoivent enfants et petits-enfants en visite régulièrement. Mais la tâche devenant plus lourde à porter, Robert décide de se départir de la "ronne" de lait au début des années 1970 après une trentaine d'années de loyaux services. Il décide d'accepter une offre de concierge dans un édifice à appartements de Drummondville, le Carillon, situé rue des Merisiers. Pendant qu'il s'occupe de réparer des serrures, peindre les murs des locaux libres, bref voir à l'entretien physique de la bâtisse, Marie-Rose, elle, s'occupe des locataires.
Graduellement, le couple s'éloigne de Saint-Cyrille: d'abord en vendant en 1971, la terre cultivable au voisin Rémi Martel et la maison en 1974, à Jean-Claude Lemire. D'un autre côté, il achète une maison unifamiliale au 178 de la rue de Maisonneuve à Drummondville, à deux pas du Carillon. C'est en 1980 que Robert met un terme à sa carrière active, à l'âge de 70 ans. Cela ne veut pas dire qu'il ne va rien faire de ses journées. Jusqu'à son décès le 11 mars 2001 à l'âge de 90 ans, il s'occupe de l'entretien de la maison et de la gestion de ses affaires, tout en fréquentant des organismes d'appui aux personnes âgées.
Quant à Marie-Rose, elle continue à coudre et à faire la popote tant qu'elle en a été capable, recevant parfois de nombreux enfants et petits-enfants aux Fêtes, tout en menant une vie sociale active dans son milieu et en continuant à entretenir des liens avec de très nombreuses personnes chères Depuis le 28 octobre 2001, elle réside au CHSLD Frédéric-Hériot de Drummondville, au 75 de la rue Saint-Georges, où elle se dit très bien traitée par le personnel et entourée de nombreuses personnes. Elle qui est toujours aussi sociable, la présence de visiteurs constitue toujours une grande joie.
Par Gérald Prince à l'occasion du 90e anniversaire de naissance de sa mère Marie Rose.
Note :Marie-Rose est décédée le 10 mars 2005 à l’âge de 91 ans, 7 mois et cinq jours. Ses funérailles ont eu lieu à l’église de St-Cyrille et elle fut inhumée dans le lot familial avec Robert, Réjean et Gilles.
Publié par Florian Jutras à l'adresse
21:22 1 commentaires Clément Jutras a dit…
J'ai beaucoup apprécié lire ce récit, merci beaucoup à Gérald de partager ces moments de vie avec nous.
19 avril 2009 06:56 .