MARQUÉPOUALLÉOLAC
Le lendemain de l’histoire des bottes je rencontre Paul-Émile. Il s’approche de moi, me regarde le front puis enchaîne…
« Te rappelles-tu toé du lit jaune placé à la tête de l’escalier près de la lucarne de façade dans lequel nous dormions? »
« Un soir, c’était en décembre probablement l’annonce d’une tempête de neige nous étions plus bruyants qu’à l’habitude. « Taisez-vous les ptits gars, c’est le temps de dormir » nous avait a répété plus d’une fois pôpà. Un silence de quelques secondes puis le vacarme recommençait. « Je vais monter!» Un silence à peine plus long et ça reprenait de plus belle. Nous nous amusions à glisser chacun notre tour sur les genoux de l’autre. »
« La porte s’ouvrit en bas, ça parlait fort. Les tantes Alice et Lucienne venaient d’entrer. Nous en avons profité pour doubler nos exploits. Tu te souviens Florian, c’était à ton tour. J’ai levé les genoux plus haut qu’à l’habitude. Et bang, tu t’es ramassé la tête sur le bord coupant du pied de la couchette qui était en érable ou en chêne. Ça saignait. Ta jaquette blanche était toute tachée de sang. Tu braillais comme un veau. Moé j’savais pas quoi faire. On est monté voir ce qui se passait. Il y avait Môman, matante Alice qui parlait toujours très fort, matante Lucienne qui parlait encore plus fort. Puis tu es descendu dans leurs bras.. Vite on a mis la bombe sur le premier rond du poêle pour faire chauffer de l’eau. »
« Pendant qu’on s’affairait en bas autour de toéi, je restai dans le lit blotti sous les couvertures, craignant d’être chicané. Après un certain temps j’ai entendu matante Lucienne dire « C’est pas grave en vla un autre de MARQUÉPOUALLERAULAC. Marquépoualleraulac, je ne comprenais pas ce que cela voulait dire mais je m’aperçus que tu avais quelque chose que je n’avais pas. Tes larmes on séché. Tu es revenu te coucher tout fier, tu étais MARQUÉPOUALLÉOLAC. »
« Ça voulait dire quoi? Je ne l’ai jamais su. »
« R’garde moé donc toé! Qu’est-ce que tu as sur le front à la racine des cheveux, en haut à droite?
« Ah oui! c’est une cicatrice. J’ai été MARQUÉPOUALLÉOLAC » ai-je répondu comme on referme un livre d’histoire que l’on range sur les tablettes du temps passé.
NDLR
À cette époque quelques habitants de St-Zéphirin et probablement des autres paroisses environnantes envoyaient en pacage, l’été, sur une île à l’entrée du lac St-Pierre près de Sorel, les jeunes taures qu’ils ne tiraient pas. Pour reconnaître leurs bêtes à l’automne les propriétaires les marquaient au fer rouge. D’où l’expression « marqué pour aller au lac » que tante Lucienne en finale de ses bons soins m’avait servi ce soir là.
J’en ai compris le sens que beaucoup plus tard. Aujourd’hui je suis encore fier de ma cicatrice comme d’une blessure témoin de mes exploits pendant la guerre de l’enfance.
Renvois et références reliés aux textes mémoires de Florian Jutras
mardi 14 avril 2009
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